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La frappe de l'hiver

« Eh voilà Madame, votre chaudière est prête à fonctionner, enfin, je sais qu’on est au mois d’août mais si jamais vous voulez l’essayer vous pouvez toujours.
- Merci M. Bernard, je sais que vous êtes un peu fatigué en ce moment, mais je peux vous garantir que cela ne s’en ressent pas du tout sur la qualité de votre travail, dit Madame Petrovicz.
- Appelez-moi Paul, il regarda ses chaussures, vous savez, je pense que je suis au meilleur de ma forme physiquement malgré mon âge. Bon, il prit une longue inspiration, je vais devoir m’en aller, passez une agréable journée ».
Paul Bernard ouvrit d’un trait son camion et chargea le matériel d’installation de chauffage à gaz pour repartir au plus vite chez lui afin de s’occuper des papiers relatifs à son divorce récent. M. Bernard, était plutôt bel homme, il faisait un peu moins de deux mètres et avait une musculature imposante en raison de son travail fortement physique. Il prenait toujours le temps de se tailler la barbe le matin et de se coiffer afin que transparaisse de lui une certaine prestance qui est un gage de qualité pour les personnes âgées et aisées.
Une fois rentré chez lui, il se déshabilla et couru à la douche, il alluma la télévision. Il aimait vraiment avoir un bruit de fond chez lui pour combler le manque affectif qui le touchait. Alors qu’il se savonnait les cheveux, il pensait au prochain rendez-vous d’installation de ses chaudières au gaz qu’il avait réussi à vendre à des personnes très aisées. Alors qu’il sortait de sa douche, il s’entoura d’une serviette et alla s’installer sur le canapé puisque ce que disait le présentateur des informations l’intriguait au plus haut point. Il aimait écouter les faits divers, en particulier sur ce qui touchait aux enfants parce qu’il a été profondément touché par ses problématiques des années durant. Il prit un cigare de sa veste qu’il aimait fumer le soir venu pour se détendre. La télé tournait encore en fond alors qu’il allait se poser quelques minutes sur son ordinateur pour consulter les forums sur lesquels il aimait discuter de tout et de rien, mais particulièrement de criminologie et criminalistique afin d’enrichir ses connaissances sur le sujet qui le passionnait.

Mardi matin, le réveil sonne, il se lève doucement de son lit, il est environ six heures du matin, il s’étire et baille un peu avant de filer devant le miroir et se passer un coup d’eau sur le visage. Il passa sa main humide dans les cheveux pour les mettre en forme, glissa ses lunettes au bout de son nez, toucha sa barbe pour voir si rien ne dépassait trop et alla s’habiller d’habits propres et lavés de la veille. Rendez-vous chez Madame Guerlaine, je l’avais démarché la semaine dernière, mes prix attractifs fonctionnent bien, tous les gens que j’avais ciblés ont donné leur accord pour que j’installe mes chaudières au gaz, pensa-t-il. Il alla, avec son petit camion propret, chez ladite dame installer le dernier de tous les systèmes de chauffage qu’il avait réussi à vendre cet été, après, il prendra un long congé, peut-être même un an, les ventes suffisaient. Il partirait en Hongrie sans doute, le pays lui plaisait beaucoup, même si l’allemand était un réel frein pour lui, mais au moins là-bas, dans la campagne, il aurait la tranquillité et le calme qu’il avait toujours rêvé, lui qui vivait à la ville depuis sa jeunesse.
« Je vous installe la chaudière à la place de l’ancienne électrique ? Demanda-t-il.
- Oui, elle acquiesça en même temps de la tête en regardant le bonhomme faire.
- Vous voulez regarder toute la construction ? C’est un peu long vous savez.
- Oh, mais personne ne me retient, elle avait une réelle attirance pour Paul, à quarante-ans on est encore jeune, il faut profiter de ces moments de compagnie, elle sourit et se posa contre le mur en le regardant travailler encore. »
Paul installa toute la chaudière et posa la dernière pièce, un boîtier noir qui se fixait juste en dessous avec une antenne qui dépassait. Madame Guerlaine l’interrogea, elle se demandait bien ce que ce pouvait être, alors M. Bernard lui expliqua clairement que c’était un nouveau dispositif qui lui permettait de contrôler le fonctionnement de sa chaudière et sa consommation, une création de son cru. M. Bernard était fasciné par la robotique et l’ingénierie, mais n’avait jamais eu l’idée de commercialiser ses inventions. « Bon, alors je vous dis à une prochaine fois, dit-il.
- Revenez quand vous voulez, elle sourit, je suis vraiment impressionnée, un travail de qualité pour un si petit prix, je pensais presque m’être faite arnaquer, elle lui mit la main sur l’épaule.
- Oh, vous savez, je suis juste honnête Madame Guerlaine, rien de plus, il baissa la tête, timide.
- Vous pouvez m’appeler Sylviane, elle lui passa la main dans le dos pour le guider vers la sortie car il semblait perdu, et même me tutoyer. » Il dit les formules de politesses habituelles et parti chez lui.

Jeudi 14 janvier, c’était le grand jour, le jour du départ, il avait déjà tout payé d’avance, acheté un petit corps de ferme non-loin de Csengele, et avait revendu toutes ses possessions françaises afin de repartir dans une nouvelle vie plus calme, plus belle et plus authentique. Sylviane qui avait appris, il ne sait comment, son départ futur, était devant chez lui, elle toqua à la porte. Paul alla ouvrir, elle pleura d’un coup. « Tu nous quittes ! On s’était lié d’amitié ces derniers mois... Comment tu peux me faire ça ? elle s’effondra dans ses bras.
- J’avais ce projet depuis plusieurs années, quand Baptiste et Tatiana sont, enfin tu sais, il sanglota lui aussi, Marla n’a pas pu non-plus.
- Je ne te laisserai pas partir, elle s’était assise sur la valise de Paul, je te le promets, ne me laisse pas. »
Mais Paul était déterminé, il prit sa valise, la chargea dans la voiture et parti, Sylviane et lui pleuraient chacun de leur côté. Il roula quelques kilomètres, entra sur l’autoroute et à la première sortie s’arrêta pour fumer assis sur un banc de pique-nique, il posa la tête entre ses mains, se frotta les yeux, la releva et regarda devant lui déterminé, il avait cessé de pleurer.
Sur la route il alluma la radio pour écouter la transition entre la France et les radios étrangères car il roulait près de la frontière, « Alors que nous recherchons toujours activement les auteurs de ces crimes pédophiles affreux, la secte sataniste pédophile frappe toujours sur notre territoire, notre envoyé spécial est sur place, la découverte de nouveau cadavre avec des inscriptions en latin montrent clairement des scènes rituels, des riverains auraient aperçu une dizaine de personnes d’une quarantaine d’années non-loin des lieux de découverte des corps, cela réduit considérablement le nombre des potentiels auteurs, si cette information vient à être confirmée, alors ce sera un grand pas pour l’enquête ». Paul coupa la radio, ce genre de sujet l’enrageaient.

Tard dans la nuit, il arriva dans la propriété qu’il avait achetée, sa première visite avait beaucoup marqué Paul, il y avait fait installer internet avant de faire sa venue, le forum sur lequel il naviguait lui aurait beaucoup trop manqué. Il déballa toutes ses affaires les plus importante et s’effondra sur le lit. Il se réveilla vers midi, il était un peu déboussolé. Il décida de brancher l’ordinateur afin de prendre des nouvelles du forum. Il écrivit sous son sujet appelé La Frappe de l’Hiver : « Tout va bientôt finir, tout est prêt pour finir, Baptiste et Tatiana, c’est pour vous, merci les amis de m’avoir aidé pendant toutes ces années, l’enquête a été rude, les responsables ont été durs à trouver, les heures d’insomnies ont été longues pour nous tous, mais vous comme moi avions soif de justice, nous parents, amis, enfants, et soutiens, nous qui avons éprouvé dans notre chaire la perte et l’incompréhension, nous nous vengeons ce jour ». Quand il eut posté le message, il envoya une série de chiffres en SMS à un numéro inconnu, une sorte de liste de diffusion. Il appuya sur validé et alluma sa télévision sur une chaîne de d’information française. Une bonne heure passa avant qu’une information de dernière minute ne laisse place au flash information. « C’est avec horreur et stupéfaction que la Drome se réveille aujourd’hui, un attentat terroriste de grande ampleur a eu lieu, 12 maisons de personnes aisées ont explosé, la cause de cette explosion, des chaudières au gaz, malheureusement tous les propriétaires des lieux étaient chez eux, le bilan est catastrophique, 18 morts. L’explosion était visible depuis des dizaines de kilomètres à la ronde. Et beaucoup de riverains sont, attendez, on vient de m’informer qu’une lettre d’information est arrivée dans la boîte aux lettres électronique de notre rédaction, il semblerait que ce soit un manifeste avec un dossier complet de 158 pages sur les personnes des victimes. Je donne l’antenne à M. Pudolas ». Paul Bernard savait très bien ce que disait le manifeste, il l’avait écrit de ses mains, il se mit alors debout devant sa télévision et en même temps que le journaliste lisait le manifeste, il le dit lui aussi haut et fort « Si vous pensez être en sécurité, en toute impunité, si vous pensez que le droit vous protège parce que vous êtes les tribunaux, si vous pensez être dans un confort matériel et financier infini parce que vous êtes les banques, si vous pensez ne jamais subir de représailles et de violences parce que vous êtes les forces de l’ordre, sachez que jamais vous ne pourrez dormir tranquillement parce que la justice ne se corrompe pas, que la vengeance ne se contrôle pas et qu’enfin, les vrais héros sont toujours tapi dans l’ombre. Vous venez de subir le premier acte de justice privée, la frappe de l’hiver n’est que le début, je ne suis qu’un pion d’un grand échiquier, les autres actes suivront, d’autres têtes tomberont, d’autres vérités éclateront, méfiez-vous de l’eau qui dort ».

Paul sorti alors de sa petite maison. Il se posa sur le banc contre le mur de sa terrasse, alluma un cigare, regarda la vaste étendu d’herbe danser au gré du vent, entouré de plantations. Il prit une grande inspiration, ferma les yeux et expira. Il avait vengé ses enfants victimes de ce réseau pédophile, il était satisfait, il fallait le faire, il devait le faire. Il avait enfin un réel sentiment de justice.

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